Actuellement, l’attention médiatique est concentrée sur l’accueil des primo-arrivants, la plateforme citoyenne qui supplée aux pouvoirs publics.On parle beaucoup des visites domiciliaires, parce que cela touche aux libertés fondamentales et c’est grave. Mais c’est une loi qui concernera 100 à 200 personnes par an. On légifère et on crée une controverse énorme pour quelques centaines de personnes. Même chose pour les migrants en transit. En soi, la présence de 600 migrants sur le territoire n’est pas un vrai problème. Cela pourrait être facilement résolu. Le Premier ministre dit « Les gens n’ont qu’à demander l’asile », alors que tout le monde constate qu’il y a un problème avec Dublin (le règlement qui implique que les migrants dont les empreintes ont été enregistrées en Italie ne peuvent pas suivre une procédure d’asile en Belgique, NDLR). On ferme toutes les voies d’accès à l’Europe et après on stigmatise les illégaux.
Ce que vous dites, c’est qu’on est hypocrite ?
Oui. On fait mine que c’est simple alors que ça ne l’est pas. Et on parle de personnes qui ont connu un chemin migratoire compliqué, qui reçoivent des informations contradictoires. Il y a un discours très dur de la part du gouvernement. Or, le débat n’est pas de savoir si on est pour ou contre l’immigration, si on est souverainiste ou « cosmopoliste ». L’immigration est une réalité. Et le phénomène va augmenter dans les années à venir avec les réfugiés climatiques. Ce qui est agaçant actuellement, c’est qu’on fait passer de faux débats sur l’impact économique ou la sécurité sociale alors que, dans le fond, il s’agit de craintes identitaires. Dans ce cas, parlons de cela.
Vous voudriez qu’on mène un véritable débat sur la question identitaire ?
Non, ce n’est pas si simple. Mais je préférerais qu’on en finisse avec ces amalgames fondés sur la peur. On pourrait espérer que le secrétaire d’Etat joue un rôle constructif de coordination entre les différents niveaux de pouvoir. Les migrants sont une force de travail, ils représentent quelque chose de positif pour l’économie. La difficulté, c’est qu’ils n’ont pas le même profil que les Belges. Et on se retrouve avec un écart de taux d’emploi de 28 % entre les natifs et les personnes d’origine étrangère. Il faut absolument favoriser l’intégration au marché du travail.
Comment ?
Il faut rendre le parcours d’intégration réellement obligatoire et conséquent. Les migrants sont d’ailleurs très demandeurs. La Wallonie a fait le travail mais ça coince à Bruxelles parce qu’on ne débloque pas le budget. Il faut augmenter le nombre de places et faciliter l’accès. Et d’après les retours qu’on a, c’est la communauté flamande qui freine. Ce qui confirme l’écart entre le discours et les actes : on le rend théoriquement obligatoire mais on empêche de le faire. Cela permet de continuer à dire que Bruxelles ne fonctionne pas.
Si la situation est bloquée, qu’est-ce que vous suggérez ?
Dans ce cas, la Région doit intervenir, mettre l’argent nécessaire.
C’est déjà ce qu’elle a fait pour l’accueil des migrants en transit. La Région ne peut pas toujours suppléer…
A un moment, Bruxelles doit arrêter de regarder les autres Régions et le fédéral. Il faut montrer qu’il y a du positif dans la migration, quitte à y aller avec les moyens du bord. L’autre levier, c’est l’accompagnement. Pour l’instant il y a un problème de suivi entre le parcours d’intégration et la maison de l’emploi. Les associations nous ont confirmé qu’elles n’avaient aucun lien avec le Forem ou Actiris. Et on perd beaucoup de gens en route. On parle de situations très précaires : des personnes qui sont en train d’apprendre la langue, parfois l’alphabet, certains sont dans des situations familiales compliquées. Cela ne suffit pas de dire : « Allez, maintenant, tu es comme les Belges, débrouille-toi ». Actiris et le Forem devraient avoir une politique particulière pour les réfugiés et les migrants.
Vous avez contacté Actiris ?
Non. Mais, notre propos n’est pas de dire qu’Actiris et le Forem font mal leur boulot. C’est de dire qu’on a besoin d’une meilleure politique d’intégration. Et il y aurait des mesures très concrètes à prendre pour l’accès au travail des demandeurs d’asile, par exemple. On leur demande actuellement de participer aux frais d’accueil lorsqu’ils travaillent, ce qui n’est pas dénué de sens, mais mettez-vous à la place d’un demandeur d’asile. La procédure peut être très longue, parfois deux ans, sans aucune certitude quant à son issue, il leur faut payer les transports – sans tarif préférentiel à Bruxelles et en Wallonie – et donc encore reverser une part importante de leur salaire. On n’incite pas les gens à travailler.
Vous parlez ici de compétences en partie régionales et communautaires. Des niveaux de pouvoirs où intervient le CDH. Votre parti n’a pas été à la hauteur sur ces questions ?
Disons que c’est une question de priorité. Les jeunes CDH estiment que l’intégration des migrants devrait être une priorité. Est-ce que le parti a fauté ? C’est une manière négative de le dire. La manière positive, c’est ce qu’on dit : on demande que les différents niveaux de pouvoir prennent des mesures.
LORRAINE KIHL – Source